Violences intrafamiliales et autorité parentale
La question de l’autorité parentale, de son exercice ou de son retrait, est au cœur des préoccupations des parents, qu’ils soient concernés en tant que victime de violences intrafamiliales de la part de leur (ex) conjoint.e/époux.se ou qu’ils soient eux-mêmes poursuivis et exposés à une discussion sur l’exercice leurs droits.
Sous l’empire de la loi du 4 août 2014, le juge pénal devait se prononcer sur le retrait, total ou partiel, de l’autorité parentale ou sur le retrait de l’exercice de l’autorité parentale, lorsqu’il condamnait son titulaire pour un crime ou un délit portant atteinte volontaire à la vie ou l’intégrité physique de l’enfant ou de l’autre parent (articles 221-5-5 et 222-48-2 du code pénal).
Puis la loi du 14 mars 2016 a introduit la possibilité pour le juge civil d’ordonner le retrait de l’autorité parentale en dehors de toute condamnation pénale, « lorsque l’enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre » (article 378-1 du code civil). L’existence d’une condamnation pénale visant des faits de toute nature (même en dehors de violences intrafamiliales) peut être prise en compte par le juge civil lorsqu’il examine la demande de retrait.
La loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales a modifié les dispositions jusqu’alors applicables et introduit plusieurs cas dans lesquels la suspension ou le retrait de l’autorité parentale ou du droit de visite et d’hébergement du parent condamné doivent être ordonnés.
Retrait de l’autorité parentale ou de l’exercice de l’autorité parentale : quelle différence ?
Les deux mesures répondent à un objectif commun : protéger l’enfant contre des situations de danger ou de maltraitance.
En revanche, leurs conséquences diffèrent :
- Retrait de l’autorité parentale : mesure prise dans les situations les plus graves, engendrant la perte des droits et devoirs des parents vis-à-vis de leur enfant ;
- Retrait de l’exercice de l’autorité parentale : les parents demeurent titulaires de l’autorité parentale, conservent leurs droits et devoirs légaux, mais sont temporairement empêchés de les exercer. C’est une mesure moins radicale, réversible. Le parent privé d’exercice de l’autorité parentale garde un droit de surveillance et d’être informé des choix relatifs à la vie de l’enfant.
Suspension désormais automatique de l’exercice de l’autorité parentale en cas de poursuite pour crime ou inceste
L’article 378-2 du code civil prévoit la suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement du parent poursuivi par le procureur de la République ou mis en examen par le juge d’instruction pour :
- crime commis sur la personne de l’autre parent
- agression sexuelle incestueuse
- crime commis sur la personne de son enfant
Par poursuites, on entend les cas dans lesquelles une personne est convoquée devant un tribunal à la demande du Procureur pour répondre aux infractions qui lui sont reprochées.
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co-victimes de violences intrafamiliales, la suspension ne pouvait excéder une durée de 6 mois.
Désormais, la suspension dure jusqu’à la fin de la procédure pénale (non-lieu prononcé par le juge d’instruction ou décision de la juridiction de jugement).
Le parent poursuivi peut cependant saisir le juge aux affaires familiales à tout moment. Dans ce cas, la décision du juge aux affaires familiales met fin à la suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale ou du droit de visite et d’hébergement.
Nouveau principe de retrait de l’autorité parentale par le juge pénal en cas de condamnation pour crime ou inceste
La loi du 18 mars 2024 a introduit un nouvel article 228-1 dans le code pénal.
Cet article pose le principe du retrait l’autorité parentale du parent condamné pour crime ou inceste.
Le tribunal ou la cour d’assises doit désormais ordonner le retrait total de l’autorité parentale du parent condamné :
- soit pour crime sur son enfant ;
- soit pour agression sexuelle incestueuse sur son enfant
- soit pour crime contre l’autre parent.
Par exception, le tribunal ou la cour d’assises peut ne pas ordonner le retrait total de l’autorité parentale du parent ainsi condamné par décision spécialement motivée.
Dans ce cas, le tribunal ou la cour d’assises doit ordonner le retrait partiel de l’autorité parentale ou le retrait de l’exercice de l’autorité parentale, sauf, là encore, à exclure ce retrait par décision contraire spécialement motivée.
Obligation pour le juge pénal de se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale en cas de condamnation pour délit commis sur la personne de l’enfant
Lorsqu’un parent est condamné pour délit commis sur la personne de son enfant, le tribunal est obligé de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou sur le retrait de l’exercice de l’autorité parentale.
Cela signifie qu’il doit étudier la question du retrait, sans obligation de le prononcer.
Possibilité pour le juge pénal de prononcer le retrait de l’autorité parentale en cas de condamnation pour délit commis sur la personne de l’autre parent
Lorsqu’un parent est condamné pour délit commis sur la personne de l’autre parent ou comme complice d’un crime ou délit commis par son enfant, la loi permet au tribunal de prononcer soit le retrait total ou partiel de l’autorité parentale, soit le retrait de l’exercice de l’autorité parentale.
En d’autres termes, contrairement au cas précédent et au droit antérieur, le tribunal n’est pas tenu d’étudier la question du retrait de l’autorité parentale mais peut s’en saisir soit d’office, soit à la demande d’une partie.
Lorsque la juridiction qui a prononcé la condamnation se prononce sur le retrait de l’autorité parentale de l’enfant victime ou dont l’autre parent est victime, elle peut aussi se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale ou de l’exercice de l’autorité parentale des autres enfants du parent condamné.
Dans tous les cas, le retrait de l’autorité parentale produit ses effets même si le parent fait appel du jugement de condamnation.
La demande de restitution de l’autorité parentale ou de son exercice est possible mais soumise à conditions (article 381 du code civil)
- Le parent ayant fait l’objet d’un retrait total ou partiel de l’autorité parentale peut demander la restitution de ses droits par requête auprès du tribunal judiciaire si 3 conditions sont remplies :
-
- Il justifie de circonstances nouvelles (en pratique, il doit démontrer qu’il peut de nouveau assumer ses droits et devoirs parentaux)
- Un an s’est écoulé depuis la décision définitive prononçant le retrait (en cas de rejet, la demande de restitution de l’autorité parentale ne pourra être renouvelée qu’après un nouveau délai d’un an)
- L’enfant n’a pas été placé en vue de l’adoption
- Le parent ayant fait l’objet d’un retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement ne peut saisir le juge aux affaires familiales pour demander à récupérer ces droits avant un délai de 6 mois à compter de la décision définitive ayant prononcé le retrait (article 381-II et 373-2-13 du code civil).
Introduction d’un nouveau cas de délégation forcée de l’autorité parentale
L’article 377 du code civil prévoit un nouveau cas de délégation forcée de l’autorité parentale en cas de poursuites, mise en examen ou condamnation pour un crime commis sur la personne de l’autre parent ayant entraîné la mort de celui-ci ou pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse commis sur son enfant alors qu’il est le seul titulaire de l’exercice de l’autorité parentale.
Dans ce cas, la personne ou le service qui a accueilli l’enfant ou le procureur de la République peut saisir le juge aux affaires familiales aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l’exercice de l’autorité parentale.
Principe de suspension du droit de visite et d’hébergement du parent mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour violences intrafamiliales
Depuis le 20 mars 2024, la suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur dont est titulaire la personne mise en examen doit désormais systématiquement être ordonnée par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention qui prononce un contrôle judiciaire quand deux conditions sont remplies :
- la mise en examen concerne une infraction contre le conjoint, le concubin ou le partenaire pacsé ou contre ses enfants ou ceux de son conjoint, concubin ou partenaire ;
- le contrôle judiciaire est assorti soit d’une interdiction de contact, soit d’une obligation de résider hors du domicile du couple, soit du port d’un bracelet antirapprochement
Par exception, la suspension du droit de visite et d’hébergement peut être écartée par décision spécialement motivée.
En conclusion
Avant 2014, il appartenait au parent victime de violences intrafamiliales ou co-titulaire de l’autorité parentale sur l’enfant victime de violences ou d’inceste de la part de l’autre parent de saisir le juge aux affaires familiales pour prononcer le retrait de l’autorité parentale ou de l’exercice de l’autorité parentale de l’autre parent le cas échéant.
La loi du 4 août 2014 a donné les outils au juge pénal pour prononcer le retrait ou la suspension de l’autorité parentale (ou de son exercice) et l’a obligé, dans certains cas, à se prononcer sur ce point.
Toujours possible, ce retrait ou cette suspension deviennent automatiques ou de principe dans certains cas depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 mars 2024.
Qu’il soit victime ou mis en cause, le parent qui comparait devant le juge pénal dans une affaire de violence intrafamiliale doit avoir conscience que le juge pénal peut, et parfois doit, prononcer le retrait de l’autorité parentale.
Le juge civil est alors tenu par la décision du juge pénal et ne peut la modifier pendant au moins 6 mois (retrait de l’exercice de l’autorité parentale) ou un an (retrait de l’autorité parentale).
N’hésitez pas à prendre contact avec notre cabinet pour être conseillé(e).
Morgan LORET – Avocat associé. Spécialiste en droit pénal. Responsable du pôle droit pénal