Pas d’accès au dossier dans les locaux de détention : Nullité de l’ordonnance de prolongation de la détention provisoire
Dans le cadre d’une instruction ouverte pour infraction à la législation sur les stupéfiants, nous avons récemment assisté un mis en examen convoqué devant le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) pour un débat en visioconférence sur la prolongation de sa détention provisoire et obtenu la nullité de l’ordonnance rendue.
Présent aux cotés du mis en examen depuis la maison d’arrêt où il était incarcéré, nous avons fait valoir, en vain, le défaut d’accès au dossier dans les locaux de détention en violation des dispositions de l’article 706-71 du code de procédure pénale.
Détention provisoire prolongée par le juge des libertés
Le JLD a ordonné la prolongation de la détention provisoire pour 4 mois, ordonnance dont nous avons régulièrement relevé appel.
A l’occasion de l’examen de cet appel, la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de RENNES avait l’occasion de mettre en application une jurisprudence récente de la Cour de Cassation.
Et elle n’a pas manqué de le faire, rappelant ainsi que la logique de gestion des flux, inspirant toujours plus de recours à la visioconférence, devait s’effacer au profit du strict respect des dispositions de l’article 706-71 du code de procédure pénale garantissant les droits de la défense.
Le droit
Rappelons les termes de l’article 706-71 du Code procédure
pénale qui dispose s’agissant du recours à la visioconférence en son alinéa 6 :
« Pour l’application des dispositions des alinéas précédents, si la personne est assistée par un avocat ou par un interprète, ceux-ci peuvent se trouver auprès du magistrat, de la juridiction ou de la commission compétents ou auprès de l’intéressé. Dans le premier cas, l’avocat doit pouvoir s’entretenir avec ce dernier, de façon confidentielle, en utilisant le moyen de télécommunication audiovisuelle. Dans le second cas, une copie de l’intégralité du dossier doit être mise à sa disposition dans les locaux de détention sauf si une copie de ce dossier lui a déjà été remise. Si ces dispositions s’appliquent au cours d’une audience, celle-ci doit se tenir dans des conditions qui garantissent le droit de la personne à présenter elle-même ses observations. »
La jurisprudence récente
La Chambre criminelle, dans un arrêt très récent, a indiqué :
« Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces
de la procédure que les mineurs Z… X… et H… C… ont été mis en examen le
6 juin 2018 pour l’assassinat du mineur Y… Q…, victime d’une
agression par arme blanche ; que le 16 mai 2019, H… C… a indiqué qu’elle acceptait que le débat contradictoire, prévu pour l’éventuelle prolongation de sa
détention provisoire, ait lieu par voie de visioconférence ; que, par télécopie adressée le 20 mai 2019, son avocat a fait connaître
au juge des libertés et de la détention qu’il l’assisterait à la maison d’arrêt ; que dès le début du débat
contradictoire, l’avocat de la mineure a fait observer que le dossier de la
procédure n’avait pas été mis à sa disposition à la maison d’arrêt et qu’il ne
pouvait connaître la teneur des dernières auditions de Z… X… effectuées par le
juge d’instruction ; que, retenant que l’avocat s’était abstenu de demander le
dossier de la procédure, le juge des libertés et de la détention a prolongé par ordonnance du 29 mai 2019 la détention provisoire de H… C… ; que celle-ci a interjeté appel de cette décision ;
Attendu que, pour répondre à l’exception de
nullité du débat contradictoire soulevée par l’avocat de la mineure et pour
infirmer l’ordonnance de prolongation de la détention prise par le juge des
libertés et de la détention, la chambre de l’instruction relève que, d’une
part, l’avocat, en l’absence de dépôt du dossier actualisé à la maison d’arrêt, n’avait
pas eu connaissance de l’ordonnance de saisine du juge des libertés et de la
détention par le juge d’instruction ni des réquisitions écrites du ministère
public ni des actes effectués depuis janvier 2019, date de la dernière
délivrance d’une copie de la procédure, et qu’il n’était pas en mesure de répondre
aux arguments développés par le procureur de la République sur la personnalité
de la mineure et les manipulations qu’elle aurait mis en œuvre, d’autre part,
l’avocat n’avait pu, faute de connaissance prise des deux interrogatoires au
fond intervenus les 6 février et 6 mars 2019, apprécier la
persistance des divergences adoptées par les personnes mises en examen, dans
leur version des faits au regard d’éléments résultant des investigations
téléphoniques entreprises ; que les juges concluent que
ce manquement a eu pour conséquence de porter atteinte aux
droits à la défense ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations relevant de
son appréciation souveraine, et dès lors que d’une part, l’avocat, qui
avait averti en temps utile le juge des libertés et de la détention de son
choix de se trouver auprès de la personne mineure détenue à la maison d’arrêt, n’avait
pu obtenir, depuis le 25 janvier 2019, une copie actualisée de
l’entier dossier de la procédure, d’autre part, l’intégralité du dossier
n’avait pas été mis à sa disposition dans les locaux de détention, la
chambre de l’instruction a justifié sa décision ;
Et attendu que l’arrêt est régulier tant en la forme
qu’au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et
suivants du code de procédure pénale ;
REJETTE le pourvoi ; »
(Crim. 16 octobre 2019, n°19-84.773)
Ainsi, dans le cas où l’Avocat a averti en temps utile le Juge des Libertés et de la Détention de ce qu’il se trouverait auprès du mis en examen détenu à la Maison d’Arrêt, qu’il n’a pu obtenir une copie actualisée de l’entier dossier de la procédure, et qu’enfin aucune copie n’a été mise à sa disposition dans les locaux de détention, le débat contradictoire est entaché de nullité.
Ordonnance prolongeant la détention provisoire soumise à la Cour d’Appel
Faisant une application précise de cette jurisprudence, la Chambre de l’Instruction a relevé que la copie de la procédure, pourtant demandée 10 jours avant la tenue du débat contradictoire, n’avait pas été transmise au Conseil du mis examen ni mise à disposition dans les locaux de détention.
Elle a également noté que depuis la dernière copie obtenue trois plus tôt, deux interrogatoires avaient été effectués dont l’un où la personne interrogée était revenue sur des déclarations à charge contre le requérant (qu’elle n’identifiait plus devant le magistrat instructeur).
Elle a enfin constaté que ni l’ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention par le juge d’instruction, ni les réquisitions écrites du ministère n’avaient été portées à la connaissance de l’Avocat du détenu.
Fort de ces constats, la Chambre de l’Instruction en a très justement déduit l’existence d’un grief (contrairement aux réquisitions du Parquet Général qui admettait la nullité du débat mais contestait le grief) en ce que l’absence d’accès au dossier (dont la saisine du Juge des Libertés et de la Détention et les réquisitions) et aux derniers éléments intéressant directement le mis en examen portait irrémédiablement atteinte aux droits de la défense.
Nullité de la prolongation de la détention provisoire
Elle a ainsi annulé l’ordonnance de prolongation de détention provisoire entraînant la remise en liberté du mis en examen.
(Cour d’Appel RENNES
17 février 2020 – n°2020/271)
Il est heureux que face à l’expansion dangereuse de recours à la visioconférence qui, faut-il le rappeler, déshumanise singulièrement les rapports entre juges et justiciables, la Cour d’Appel de RENNES ait fait sienne le raisonnement réaffirmé récemment par la Chambre Criminelle.
En effet, afin de préserver les droits de la Défense, la plus grande prudence s’impose face à cette justice virtuelle, et le contrôle des juges constitue un rempart ultime face aux limitations qui lui sont faites.
Une solution dans la ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
Cette solution s’inscrit par ailleurs dans la droite ligne de la décision du Conseil constitutionnel du 20 septembre 2019 qui a déclaré inconstitutionnel l’article 706-71 du code de procédure pénale en ce que, en matière criminelle, il ne permettait à une personne détenue de s’opposer au recours à la visioconférence que lors du débat sur la prolongation de sa détention provisoire, l’intéressé pouvant ainsi passer une année entière sans voir de juge.
Si ce mouvement favorable aux droits de la défense relaye en la matière au second plan les contingences administratives et budgétaires, notons qu’il est plutôt isolé dans le flot des réformes actuelles de la procédure pénale toujours plus enclines à renforcer les pouvoirs de l’accusation face à la défense.
Morgan LORET – Avocat Associé, Spécialiste en Droit Pénal