QPC, visioconférence, pandémie et ordre public

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Le recours à la visioconférence est un sujet d’inquiétude qui nourrit de vifs débats entre les professionnels du droit. En ces temps de pandémie, son utilisation se développe et tend à se généraliser jusqu’à être imposée. Saisi d’une QPC sur cette utilisation débridée, le Conseil constitutionnel vient de censurer le gouvernement mais sans que sa décision ne profite au plagiant, au nom de l’ordre public.

Pour rappel, dès le début de la pandémie du covid-19 en mars dernier, le législateur a voté l’instauration de dispositions permettant de recourir à la visioconférence « devant l’ensemble des juridictions pénales, autres que les juridictions criminelles, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties »

QPC, visioconférence, pandémie et ordre public
QPC, visioconférence, pandémie et ordre public

Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Saisi de multiples recours déposés par les justiciables détenus refusant que l’exception devienne le principe et exigeant de comparaître physiquement devant leurs juges (singulièrement lorsque le maintien en détention était enjeu), l’affaire ne pouvait que finir entre les mains des Sages de la rue de Montpensier.

Par une décision QPC très commentée du 15 janvier 2021, le Conseil Constitutionnel n’a donc pas manqué de censurer le premier alinéa de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

 

Décision n° 2020-872 QPC du 15 janvier 2021

Il a considéré qu’« eu égard à l’importance de la garantie qui peut s’attacher à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction pénale, notamment dans les cas énoncés au paragraphe 8 (comparution devant le tribunal correctionnel, la chambre des appels correctionnels, devant les juridictions spécialisées compétentes pour juger les mineurs, débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire d’une personne ou relatif à la prolongation d’une détention provisoire), et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ces moyens de télécommunication, ces dispositions portent une atteinte aux droits de la défense que ne pouvait justifier le contexte sanitaire particulier résultant de l’épidémie de covid-19 durant leur période d’application. Elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution. »

 

Une décision attendue

La décision était attendue tant il apparaissait inique de permettre l’emploi de la visioconférence sans distinction de juridiction, de délai, et surtout sans laisser au justiciable la faculté de s’y opposer, quelque soit le stade procédural.

Elle s’inscrit dans la droite ligne des décisions QPC du Conseil Constitutionnel du 20 septembre 2019 et du 30 avril 2020, ayant déclaré inconstitutionnelles les dispositions de l’article 706-71 du code de procédure pénale qui, en matière criminelle, ne permettaient pas à une personne détenue de s’opposer au recours à la visioconférence lors du contentieux relatif à la liberté devant la chambre de l’instruction sauf lors du débat sur la prolongation de sa détention provisoire, l’intéressé pouvant ainsi passer une année entière sans voir de juge.

 

Décision n° 2019 – 802 QPC du 20 septembre 2019

 

Décision n° 2020-836 QPC du 30 avril 2020

Elle fait également écho à l’ordonnance rendue par le Conseil d’Etat le 27 novembre 2020 (https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/le-juge-des-referes-suspend-la-possibilite-d-utiliser-la-visio-conference-lors-des-audiences-devant-les-cours-d-assises-et-les-cours-criminelles) censurant l’ordonnance du 17 novembre 2020 par laquelle le législateur avait finalement tenté d’imposer la visioconférence y compris devant la Cour d’assises à l’occasion du procès des attentats de janvier 2015 puis à celle venant d’être rendue le 12 février 2021 par ce même Conseil d’Etat et censurant l’ordonnance du 18 novembre 2020 étendant à toutes les juridictions pénales la visioconférence imposée (https://www.conseil-etat.fr/site/actualites/actualites/procedures-penales-durant-l-etat-d-urgence-sanitaire-le-juge-des-referes-suspend-la-possibilite-d-imposer-la-visioconference).

 

Une décision accueillie avec soulagement mais…

Si cette décision a évidemment été accueillie avec soulagement, il n’en reste pas moins qu’elle questionne à plusieurs égards.

D’une part, elle met en exergue l’absence de cohésion de la chambre criminelle lorsqu’elle décide ou on de renvoyer les QPC.

En effet, dans l’espèce en question, la chambre criminelle qui examinait un pourvoi concernant la prolongation de la détention provisoire et était saisie d’une QPC portant sur l’inconstitutionnalité de l’article 5 de la l’ordonnance du 23 mars 2020, a transmis la QPC au Conseil Constitutionnel suivant arrêt du 13 octobre 2020.

 

Arrêt n°2351 du 13 octobre 2020 (20-84.360)

Pourtant dans une espèce similaire où notre cabinet avait également déposé une QPC s’agissant du placement en détention provisoire après un débat où la visioconférence avait été imposée à notre client (qui avait demandé un délai), la chambre criminelle refusait de transmettre la QPC le lendemain de l’arrêt précité !

 

Arrêt n°2205 du 14 octobre 2020 (20-84.169)

Ce manque d’harmonie entre les différentes compositions de la chambre criminelle est à l’évidence problématique et la Haute Juridiction gagnerait à s’imposer un effort de clarté dans les décisions qu’elle rend, singulièrement en matière de QPC.

En outre, cette difficulté s’ajoute au fait que les effets des recours exercés par le biais de QPC sont régulièrement différés dans le temps et inapplicables à l’instance en cours, comme cela fut le cas dans la décision commentée.

Le Conseil Constitutionnel nous dit ainsi que si les dispositions querellées sont bien inconstitutionnelles, il n’y a pas urgence à en faire profiter celui qui s’en plaint mais seulement à garantir que cela ne se reproduise pas.

De là à considérer que l’intérêt du recours ne se perde au nom de l’ordre public toujours plus répressif, il n’y a qu’un pas…

Morgan LORET – Avocat Associé, Spécialiste en Droit Pénal