CBD et suspension du permis de conduire

 In Droit routier

La consommation de CBD est en forte croissance et notre cabinet est de plus en plus souvent sollicité par des automobilistes qui se voient reprocher une conduite après usages de plantes ou produits classés comme stupéfiants.

La difficulté tient à ce que le préfet suspend immédiatement le permis de conduire de l’usager de la route, alors que ce dernier ne consomme pas de cannabis.

Pour vous aider, nous avons décidé de rédiger cet article.

Le CBD : un produit légal

Le cannabidiol (CBD) n’est pas considéré comme un produit stupéfiant.

En effet, la Cour de justice de l’Union européenne a affirmé dans un arrêt du 19 novembre 2020 que le cannabidiol (CBD) ne constitue pas un stupéfiant, au sens de la convention unique (CJUE,19 novembre 2020, affaire C-663/18).

La chambre criminelle de la Cour de cassation a suivi cette même logique en indiquant :

9. Pour infirmer l’ordonnance du juge d’instruction et ordonner la mainlevée de la fermeture de l’établissement à l’enseigne « The Pot Company », l’arrêt attaqué relève que le cannabidiol n’est inscrit ni sur la liste des substances vénéneuses, ni sur la liste des substances stupéfiantes et peut être obtenu par un procédé de synthèse chimique qui n’est pas interdit ou peut être extrait du chanvre issu de plusieurs variétés (Sativa ou Indica ou Spontanea).

10. Les juges constatent que la législation interne varie en fonction de l’espèce de chanvre dont le cannabidiol est issu.

11. Ainsi, concernant la variété Indica (chanvre à drogue), les juges relèvent que selon les articles L. 5132-8 et R. 5132-86 du code de la santé publique sont interdits la production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi :

-du cannabis, de sa plante et de sa résine, des produits qui en contiennent ou de ceux qui sont obtenus à partir du cannabis, de sa plante ou de sa résine,-des tétrahydrocannabinols, à l’exception du delta 9-tétrahydrocannabinol, de leurs esters, éthers, sels ainsi que des sels des dérivés précités et de produits qui en contiennent.

12. Les juges observent que la formulation de ces textes prête à confusion dans la mesure où ils posent une interdiction des substances ou principes actifs des drogues ou psychotropes mais prévoit une exception à l’interdiction pour le delta 9-tétrahydrocannabinol aussi appelé THC qui constitue le principe actif permettant de qualifier le cannabis de drogue ou stupéfiant.

13. Concernant la variété Sativa, ils constatent que des dérogations relatives aux opérations de fabrication, de transport, d’importation, d’exportation, de détention, d’offre, de cession, d’acquisition ou d’emploi, peuvent être accordées à des fins thérapeutiques.

14. Les juges, après avoir rappelé le principe général d’interprétation stricte du droit pénal, en déduisent qu’en l’absence de détermination par expertise de l’origine du cannabidiol et de la présence de THC dans les produits saisis au-delà du test effectué par les services de police, la fermeture d’établissement s’avère prématurée.

15. En statuant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision.

16. En effet, l’interdiction, même provisoire, de la commercialisation de produits contenant du cannabidiol ne pouvait être ordonnée en l’absence de preuve que les produits en cause entraient dans la catégorie des produits stupéfiants.

17. Il s’ensuit que le moyen doit être écarté.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Cass. crim., 15 juin 2021, n° 18-86.932.

Récemment, le Conseil d’Etat a suspendu l’arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique, interdisant la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes des variétés de Cannabis sativa L.

Il considère :

que des moyens de contrôle sont détaillés, pour l’ensemble de la plante, à l’annexe de l’arrêté, afin de distinguer les feuilles et fleurs de chanvre qui, en raison de leur très faible teneur en THC, pourraient être regardées comme dépourvues de propriétés stupéfiantes, au sens du II de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique. Dès lors, en cet état de l’instruction, le moyen tiré de ce que la mesure d’interdiction générale et absolue prise présente un caractère disproportionné est de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

Conseil d’État, 24 janvier 2022, n° 460055

Ainsi, le cannabidiol en raison de sa très faible teneur en THC n’est pas considéré comme un stupéfiant et sa consommation n’est pas prohibée en France.

L’infraction de conduite après usage de produits stupéfiants

L’infraction de conduite après usage de plantes ou produits classés comme stupéfiants est définie par l’article L 235-1 du code de la route.

Cet article dispose :

I.-Toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève conducteur alors qu’il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire qu’elle a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants est punie de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende.

Ainsi, par principe, si l’analyse sanguine ou salivaire est positive, l’usager de la route contrôlé est en infraction.

Le préfet suspend alors le permis de conduire pour plusieurs mois, puis une convocation en justice sera transmise ultérieurement.

Cette situation est injuste dès lors que l’automobiliste ou le motard se contentait de consommer du CBD.

La raison de cette aberration s’explique par des tests salivaires désuets.

Des tests salivaires anachroniques

La légalisation du CBD en France est récente.

Plus précisément, cette légalisation est postérieure à la généralisation des dépistages et contrôles salivaires destinés à savoir si l’usager de la route se trouve en infraction.

Ainsi, les seuils de détection du produit stupéfiant ont été définis à une époque où le CBD n’était pas légalisé.

C’est pourquoi le dépistage peut s’avérer positif alors que la personne contrôlée consomme uniquement du CBD.

Des décisions de relaxe logiques devant les tribunaux correctionnels

Confrontés à cette situation ubuesque, quelques avocats ont décidé de défendre leurs clients en plaidant la relaxe (non-coupable) devant les tribunaux correctionnels.

Le raisonnement est simple: le CBD n’est pas un produit stupéfiant et par suite, le consommateur de CBD ne peut pas être condamné pour une conduite après usages de plantes ou produits classés comme stupéfiants.

Les tribunaux correctionnels de Quimper, Guingamp, Nancy, Albertville et Saint-Nazaire ont ainsi donné gain de cause à des consommateurs avérés de CBD.

Conseils pratiques pour faire valoir vos droits

Pour être innocenté, le justiciable doit absolument convaincre le juge qu’il consomme uniquement du CBD.

Si le justiciable consomme, même rarement, du cannabis, il sera complexe d’obtenir une décision de relaxe sur ce fondement.

En pratique, la jurisprudence récente retient trois critères cumulatifs :

  1. Les déclarations du prévenu lors de son audition par les forces de l’ordre : il est impératif d’être constant dans ses déclarations et expliquer qu’il s’agit d’une consommation exclusive de CBD (pas de cannabis)
  2. La production des factures démontrant l’achat du CBD
  3. Des analyses urinaires ou sanguines démontrant que vous ne consommez pas de cannabis (ces analyses sont plus précises que les analyses salivaires)

En cas de besoin notre cabinet reste à votre disposition pour faire valoir vos droits.

Julie POUSSIER – Elève-avocat

Arnaud BERNARD – Avocat