Paternité : entre vérité biologique et réalité du cœur
En France, pour les couples non-mariés, l’établissement du lien de filiation d’un enfant à l’égard de son père n’est pas automatique. La reconnaissance d’un enfant est un acte volontaire et personnel donc distinct du lien de filiation maternelle. La reconnaissance de paternité peut être réalisé avant ou après la déclaration de naissance. Il suffit de se rendre en mairie et d’effectuer la reconnaissance auprès d’un officier d’état civil.
Lorsque la filiation n’est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l’être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance.
La reconnaissance n’établit la filiation qu’à l’égard de son auteur.
Elle est faite dans l’acte de naissance, par acte reçu par l’officier de l’état civil ou par tout autre acte authentique.
La reconnaissance de paternité repose essentiellement sur la vérité biologique ; mais pas seulement. Il existe des cas où des hommes reconnaissent des enfants pour d’autres raisons et notamment lorsqu’il existe un lien affectif et éducatif. D’autres cas où sans le savoir, ils ne sont pas le père biologique. Si la filiation ne repose pas sur la vérité biologique, il faut tout de même noter qu’il est plus faible juridiquement, en ce sens où le lien de filiation peut être remis en cause par le père biologique de l’enfant ou la mère qu’elle connaisse la vérité au moment de la reconnaissance ou non… . Depuis la loi du 10 septembre 2018, le droit français encadre strictement cette pratique pour empêcher les reconnaissances de complaisance, animés d’une volonté d’obtenir une nationalité ou de percevoir des prestations pécuniaires.
Quels sont les conséquences d’une reconnaissance de paternité ?
Une reconnaissance de paternité entraine de nombreux effets. Tout d’abord, le lien de filiation est irrévocable (sauf si contestation par voie judiciaire), le parent dispose de l’autorité parentale, l’enfant devient un héritier légal du parent et enfin, l’enfant peut disposer du nom du père. Il faut avoir conscience qu’une reconnaissance entraine des droits sur l’enfant mais aussi des obligations à son égard.
Quels sont les possibilités pour contester une reconnaissance de paternité ?
La paternité peut être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père.
L’action doit être introduite moins de 5 ans après la naissance de l’enfant si le père peut se prévaloir d’une possession d’état (il se comporte comme un père depuis la naissance et souvent ne connaissait pas la vérité).
Il existe deux raisons de contester une reconnaissance de paternité : si elle a été effectuée dans un but frauduleux ou si absence de lien biologique. Dans le cas où un doute subsiste sur les réelles intentions de cette reconnaissance, c’est le rôle du Ministère public de lever ce doute. En cas d’absence de lien biologique, elle peut être contestée par de multiples personnes. Tout d’abord, par le mineur lui-même jusqu’à ses 28 ans, par la mère dans un délai de 10 ans (si pas de possession d’état du père), par un tiers ayant un intérêt légitime ou par l’homme lui-même qui a reconnu l’enfant.
Et si ce n’est finalement pas votre enfant biologique ? La mère biologique peut-elle contester le lien de filiation ?
Dans la pratique, les situations sont plus complexes que les règles édictées par le Code civil. Prenons l’exemple d’un homme et une femme qui reconnaissent un enfant. Après une séparation, un test ADN est effectué dans le cadre d’une procédure et l’homme apprend qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant. La femme demande au juge d’annuler la reconnaissance de paternité de cet homme.
Eu égard à la situation, la femme est dans son droit le plus absolu de contester le lien de filiation au regard de la vérité biologique. Sur le plan moral, elle prive l’enfant d’une filiation paternelle si le père biologique n’est pas identifié.
Mais qu’en est-il de lien affectif noué par celui qui a élevé l’enfant comme son fils ? Qu’en est-il de l’impact psychologique et affectif pour l’enfant qui verrait ce « père » disparaitre de sa vie pour des raisons juridiques ?
La Convention européenne des droits de l’homme et la Cour de Cassation viennent au secours de l’intérêt supérieur de l’enfant !
La question centrale est d’assurer la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant tout en veillant à ce que la décision prise soit proportionnée aux faits, aux droits et aux situations des parties concernées. La décision ne doit pas porter atteinte de manière disproportionnée aux droits du père de l’enfant, qui a agi en tant que tel pendant plusieurs années, ni à l’enfant qui souffrira d’une rupture brutale avec la figure parentale qui a joué ce rôle pendant de nombreuses années.
La vérité biologique ne doit pas empiéter sur le bien-être de l’enfant, le maintien d’un cadre familial stable. Si le juge fait droit à la demande de la mère, l’enfant se retrouvera sans figure paternelle et perdra la seule figure parentale qu’il a toujours connue. Le juge devant statuer sur la demande d’annulation de la paternité se doit de contrôler la portée de sa décision, comme le rappelle la CEDH.
Article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme :
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Il est admis désormais que les juges, en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, doivent effectuer un contrôle de proportionnalité (balance) entre l’intérêt supérieur de l’enfant et la vérité biologique.
Il apparait nécessaire que le juge prenne en compte l’intérêt de l’enfant et l’investissement continu du père « juridique ». Le droit à l’identité dont relève le droit de connaitre et de faire reconnaitre son ascendance faisant partie intégrante de la notion de vie privée, tout le droit de maintenir des liens affectifs stables. L’action en contestation de paternité et la décision d’annulation de reconnaissance constituent une ingérence dans l’exercice de ce droit.
La Cour européenne des droits de l’Homme a aussi rendu des décisions en la matière et notamment la décision le 12 octobre 2023 qui consacre la primauté de la stabilité familiale sur la vérité biologique. Il subsiste une intention du juge de maintenir un cadre familial stable pour un enfant et donc, que le lien juridique non-biologique soit conserver au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette mise en balance, donc le contrôle de proportionnalité, ne peut être favorable pour la vérité biologique que si c’est le père biologique qui se manifeste.
Le contrôle de proportionnalité in concreto permet d’écarter l’application d’une règle interne si elle porte une atteinte excessive à un droit fondamental.
Dans le doute, le juge peut entendre l’enfant. Cette faculté est notamment illustré par un arrêt de 2025 de la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation en matière de contestation de paternité (Cass. 1ère civ,15 janvier 2025 n°22-19.312). En effet, la Cour estime qu’un enfant qui, en l’espèce, est âgé de 8 ans peut légitimement être auditionné dans le cadre d’une procédure de contestation de paternité et que l’absence de discernement dû à la « complexité de la procédure » ne peut être un motif pour empêcher l’enfant d’être auditionné si elle est requise par les parties.
En définitive, il n’y a pas d’automaticité pour les actions en contestation de paternité. Chaque cas d’espèce mérite une attention particulière, l’avocat ayant toute sa place dans la procédure à la fois pour humaniser le dossier et aussi pour permettre un contrôle de la portée de la décision sur l’enfant.
Pascal LIMOUZIN Avocat Pôle Famille AVOCATLANTIC
Mélina BOUCHET Etudiante en droit Université de Rennes