Détention provisoire : pas de libérations massives pendant l’épidémie de covid-19

 In Droit pénal

Alors que l’Exécutif communique sur le nombre de libérations anticipées pour faire face à la surpopulation carcérale en ces temps particulièrement difficiles en détention provisoire, il importe de s’attarder avec précision sur les termes de l’Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

 

Un effet d’annonce ?

Dire qu’il s’agit purement et simplement d’un effet d’annonce serait sans doute réducteur : en effet, de nombreux détenus en fin de peine ont pu recouvrer la liberté et il y a lieu de s’en féliciter.

Toutefois, alors qu’en haut lieu on semble découvrir la réalité et les chiffres de la surpopulation carcérale (la France vient pourtant d’être condamnée pour l’état de ses prisons et le trop grand nombre de détenus le 30 janvier dernier par la CEDH), l’impact des dispositions prises n’est à l’évidence pas suffisant.

CEDH, 30 janv. 2020, n° 9671/15, J.M.B et autres c. France

A titre d’exemple, si l’article 28 prévoit que « toute personne détenue condamnée à une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, à laquelle il reste à subir un emprisonnement d’une durée égale ou inférieure à deux mois, exécute le reliquat de sa peine en étant assignée à son domicile », avec différentes obligations et interdictions, rappelons que le droit positif posait déjà le principe de la libération sous contrainte pour tous les condamnés ayant exécuté les 2/3 de leur peine, ce qui recouvrait bon nombre des libérés.

 

Un dispositif contesté

Le dispositif ainsi voté permet simplement au Ministère Public, sur proposition du directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation, de prendre cette décision sans délai mais de façon totalement unilatérale, la défense étant sans surprise tenue hors du débat.

A cet égard, notons le recours déposé devant le Conseil d’Etat et soutenu par Me Patrice SPINOSI réclamant que ce délai soit étendu à 6 mois afin que les effets soient concrets, rapides et que la politique affichée ait les moyens de ses prétentions.

 

Pas de libérations massives en détention provisoire

Plus inquiétante est la situation des personnes détenues provisoirement, celles dites sous mandat dépôt, en cours d’instruction ou en attente de jugement.

Pour celles-ci, pourtant présumées innocentes, l’annonce des libérations massives est un véritable leurre.

En effet, loin de permettre des libérations sous contrôle judiciaire – ce qui, faut-il le rappeler est le principe fixé par l’article 137 du code de procédure pénale – l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 permet un allongement significatif et liberticide des délais de détention provisoire et d’examen des voies de recours.

Les mandats de dépôts correctionnels en cours ou renouveléssont allongés de 2 ou 3 mois selon la peine encourue.

Devant les cours d’appel et les cours d’assises, ils sont augmentés de 6 mois.

Et le tout sans débat, produisant effet de plein droit jusqu’à leur terme à l’issue de l’état d’urgence sanitaire.

Pour lutter contre la surpopulation carcérale, on a vu mieux…

De même, les délais pour statuer sur les demandes de mise en liberté sont doublés de 3 à 6 jours pour les juges de libertés et de la détention provisoire.

Pire, pour les détenus en attente de jugement ou pour ceux ayant relevé appel de d’un refus de mise en liberté ou d’une prolongation de leur détention provisoire, ils sont allongés d’un mois !

 

Tout est pensé pour donner du temps aux juges mais pas pour mettre fin à la détention

En vérité, l’Exécutif permet aux juges de ne pas statuer avec l’urgence qui s’impose pourtant sur les nombreuses demandes d’élargissement déposées par la population détenue, comme souvent très largement oubliée, et à juste titre légitimement inquiète de son sort.

Ce mois supplémentaire ajouté au délai initial permet en réalité que les recours ne soient audiencés qu’à l’issue (espérée !) de la crise du covid-19 afin que le risque sanitaire ne puisse plus être un argument développé par les avocats.

Que dire enfin de l’allongement des délais de jugement et donc de détention provisoire supplémentaire en comparution immédiate, cette procédure à enfermer qui est la seule maintenue dans un temps où l’on prône le confinement et le désengorgement des établissements pénitentiaires…

La Justice se donne en réalité du temps pour traverser cette crise inédite sans un regard lucide pour ceux de nos concitoyens qui sont enfermés et sous couvert d’une fausse bienveillance quant plus de 65.000 détenus vivent évidemment sans masques, gants, gel hydro-alcoolique, mais également sans parloir ni activité, entassés parfois à 3 dans 9 m².

Cette situation dramatique atteint son paroxysme lorsque des magistrats humains et courageux ayant ordonné la remise en liberté de détenus provisoirement se heurtent à des recours systématiques du parquet, notamment par la procédure exceptionnelle du référé détention, utilisée à des niveaux jamais connus jusqu’alors…

La liberté est le principe, la détention l’exception et la vie dans tout ça…l’impératif absolu, non ?

A bon entendeur…

Morgan LORET – Avocat spécialiste en Droit Pénal

 

Article actualisé à retrouver sur Ouest-France